Lorsque Crystal Pite prend position

par Marie-Laure Rolland

La saison de danse touche bientôt à sa fin mais ne faiblit pas. Pour preuve, la soirée répertoire offerte par le Nederlands Dans Theater. Quatre pièces couvrant plus d’une décennie de danse ont été présentées au public du Grand Théâtre de Luxembourg. Avec comme moment fort les pièces des chorégraphes associés du ballet hollandais: Crystal Pite et Marco Goecke.

La chorégraphe canadienne Crystal Pite, qui vient de triompher à l’Opéra de Paris avec son Canon’s Season sur la musique de Vivaldi, est familière des pièces en grand format qui réunissent des dizaines de danseurs dans de grands mouvements collectifs à haut voltage émotionnel. Ses petits formats n’en sont pas moins impressionnants. Pour preuve, The Statement (2016), une pièce qu’elle a créée pour le Nederlands Dans Theater avec lequel elle est associée depuis une décennie.

Quatre danseurs évoluent autour de l’immense table d’un conseil d’administration surplombée par une sorte de cheminée qui monte et qui descend, comme pour figurer la présence symbolique d’un menaçant big boss à l’étage supérieur. Le mobilier, les murs, tout est uniformément noir. Un décor froid que viennent moduler des jeux de lumières très intrusifs.

The Statement se déroule telle une pièce de théâtre chorégraphiée, à mi-chemin du théâtre dansé et du néo-classicisme propre à cette élève de William Forsythe. Les danseurs dialoguent entre eux à travers un langage corporel qui interprète, en le surlignant jusqu’au grotesque par ses exagérations, un texte diffusé par haut-parleur. On comprend qu’une erreur de management a mené à la catastrophe et à l’émeute. La direction ne veut pas porter le chapeau. Elle cherche à extorquer un «statement», une prise de position dans laquelle un employé subalterne acceptera de se déclarer coupable.

La manière dont les corps interagissent est phénoménale. Chaque geste chez l’un provoque une réaction chez l’autre, donnant forme à une sorte de corps social qui ne fait plus qu’un. Crystal Pite n’hésite pas à manier l’ironie et l’outrance pour souligner les rapports de force et les compromissions dans cette thématique très contemporaine à l’heure des fake news et des dérives du capitalisme.

Virtuosité

Autre très beau moment de la soirée: Woke up blind,une pièce créée en 2016 pour sept danseurs par le chorégraphe allemand Marco Goecke, sur une musique du chanteur et guitariste américain Jeff Buckley, mort accidentellement à l’âge de 30 ans après avoir signé un seul album, Grace (1994). Nous sommes là dans le mouvement pur, dans une lecture très personnelle, touchante par les chemins qu’elle nous ouvre, d’une musique dont le style sera qualifié de rock néo-romantique. La gestuelle extrêmement rapide, mobilisant surtout le haut du corps – y compris le visage – est réglée au millimètre. On a beau savoir que les danseurs du NDT sont affûtés et quasi infaillibles, leur performance est sidérante.

Choses intimes

« Shoot the Moon » de Sol León et Paul Lightfoot (photo: Rahi Rezvani)

Les deux autres propositions de cette soirée sont signées par les chorégraphes et directeurs artistiques du NDT Sol Léon et Paul Lightfoot. Shoot the Moon a été créé en 2006 sur le «Tirol Concerto pour piano et orchestre», un peu trop sirupeux à la longue, de Philip Glass. La pièce est servie par un excellent jeu de lumières et l’interaction d’images vidéos filmées en direct, mais aussi par sa scénographie. Celle-ci fait pivoter autour d’un axe différentes pièces,  percées de portes et de fenêtres, dans lesquelles se trouvent des couples. Nous pénétrons dans une intimité assez bergmanienne. On y devine des conflits et trahisons, désespoirs et réconciliations. Un univers qui n’est pas sans rappeler, en moins onirique, celui de la compagnie Peeping Tom dont les chorégraphes, Franck Chartier et Gabriela Carrizo, ont signé des collaborations avec le NDT.

En fin de programme et après deux entractes, difficile de véritablement apprécier Stop-Motion, une pièce pour huit danseurs créée en 2014 pour la fille des chorégraphes, Saura. Un langage gestuel très classique, une scénographie dominée par la vidéo au ralenti de la jeune fille pivotant sur son axe, une narration trop ou pas assez présente… on en vient à penser que les parents ne sont pas parvenus à s’imposer la distance nécessaire avec leur sujet.

Marie-Laure Rolland

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