Permis d’embrasser au TROIS-CL

par Marie-Laure Rolland

Comment faire revivre la scène culturelle ? Le débat risque de nous occuper pendant de longs mois encore. Aussi faut-il saluer la décision du Centre de création chorégraphique du Luxembourg (TROIS-CL) qui a fait un choix radical. Et vital.

Première bonne surprise : alors que la plupart des institutions culturelles du pays jouent à jauge réduite en ces temps de pandémie, la salle était pleinement occupée pour le rendez-vous mensuel du 3 du TROIS à la Banannefabrik de Luxembourg-Bonnevoie. On aura noté que par mesure de sécurité, les réservations sont désormais obligatoires afin de pouvoir identifier les personnes présentes.

Comble du luxe par les temps qui courent, il était possible de profiter des entractes pour papoter autour d’un verre en trouvant un coin pour s’asseoir. Une atmosphère de « bon vieux temps » qui faisait du bien au moral, après six mois de disette culturelle.

Le public s’est prêté de bonne grâce à la nouvelle chorégraphie imposée par les circonstances : entrée et sortie en bon ordre dans le cube noir où se jouent les représentations ; masque de rigueur tout au long du spectacle. 

« On a choisi de fonctionner en pleine jauge tout en respectant les règles sanitaires. On n’a pas le choix. C’est cela ou alors organiser des soirées pour 15 spectateurs, ce qui n’aurait pas de sens », observe le directeur artistique du TROIS-CL, Bernard Baumgarten. Il faut dire qu’à la Banannefabrik, le « grand studio » peut accueillir un maximum de 55 personnes sur les cinq rangées de chaises disposées en fond de salle. 

Ce parti pris d’une pleine occupation de la salle n’a pas fait fuir le public, il est vrai relativement jeune, du TROIS-CL. Si les personnes à risque face au coronavirus sont restées chez elles, au moins les spectateurs motivés auront-ils eu  une chance d’assister à la soirée.

Changement de repères

Bernard Baumgarten aime à emballer sa programmation dans des substantifs déclinés le plus souvent au pluriel, comme pour leur  donner plus d’élan. Le temps de la pandémie, le rendez-vous mensuel du 3 du TROIS est intitulé Les imprévisibles. « Tout peut changer à tout moment, du fait des contraintes sanitaires qui limitent les déplacements des artistes aux frontières. On veut rester libres de réagir à la dernière minute », explique le directeur artistique.

Un échange entre les chorégraphes de la soirée "Les imprévisibles" au TROIS-CL (photo: Marco Pavone)

Un échange entre les chorégraphes et danseurs de la soirée « Les imprévisibles » au TROIS-CL (photo: Marco Pavone)

Cette liberté aura aussi été donnée aux chorégraphes qui ont présenté des extraits de recherches réalisées pendant leur résidence au TROIS-CL. Les artistes ont dansé sans contrainte, osant ces gestes anodins de la vie  devenus, le temps de la pandémie, transgressifs sur scène.

Comme ce baiser prolongé, qui a ouvert la séquence très physique dansée par William Cardoso et Cheyenne Vallejo sur une musique de Guillaume Jullien. Bouche contre bouche. Corps contre corps. Suivi d’une longue respiration en forme de cri muet. Cet extrait fait partie de « Raum », une pièce que l’on découvrira le 3 janvier 2021 à la Bannanefabrik. 

« On s’est testé avant le début de notre résidence au TROIS-CL. Ensuite, c’est une question de confiance mutuelle. C’est mon parti pris dans cette situation qu’on traverse. Je veux continuer à faire confiance à mes partenaires », explique William Cardoso. Depuis, il a rejoint au Centre de danse d’Annonay l’équipe qui travaille sur JinJeon, la nouvelle création de la chorégaphe Jill Crovisier. C’est dire si la vigilance était de mise.

Autre temps fort de la soirée : ce chant expulsé à pleins poumons par le danseur Antoine Roux-Briffaud et comme projeté aux quatre coins du studio par une chemise tournoyant au bout d’un bras tendu. Les deux mètres de distance étaient respectés. Le public n’a pas bronché derrière son masque, captivé par la performance du danseur dans cette variation burlesque autour de la question de la résurgence néo-nazie, thématisée par le chorégraphe allemand Moritz Ostruschnjak. La première de la pièce devrait être présentée en janvier 2021 à Munich.

Faut-il y voir une prise de risque inconsidérée ? Non. Plutôt une forme de résistance à la pandémie. Et cela fait du bien à l’heure où la peur non seulement bouleverse nos repères mais aussi risque de formater la créativité et de tuer le désir – de l’autre, de découverte, de liberté. 

Marie-Laure Rolland

 

 

 

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