Sidi Larbi Cherkaoui et Colin Dunne : une « Session » faussement dilettante

par Marie-Laure Rolland

Les nombreux engagements de Sidi Larbi Cherkoui, entre la direction artistique du Ballet de Flandre et la chorégraphie d’un clip de Beyoncé en passant par une commande de l’Opéra de Paris, l’ont fait plus rare sur scène ces derniers temps. Aussi sa venue avec le danseur d’origine irlandaise Colin Dunne n’a-t-elle pas manqué de déplacer ses nombeux fans au Luxembourg.

Les avis étaient mitigés à l’issue de la représentation de Session. Il faut dire que cette pièce tranche avec les créations iconiques de son répertoire, présentées depuis 2005 sur cette même scène du Grand Théâtre. Après son duo avec Akram Khan Zero Degree, on y a aussi vu Sutra avec les moines du temple de Shaolin, Babel cosignée par Damien Jalet ou encore Fractus V, d’après une création pour la compagnie de Pina Bausch.

Sa nouvelle pièce, co-signée par Colin Dunne, peut laisser sur leur faim les amateurs de danse, tendance orthodoxe. Session est un plutôt un concert dansé polyphonique avec quatre interprètes sur scène – les deux danseurs mais aussi les compositeurs-musiciens Michael Gallen et Soumik Datta.

La musique live, toujours très présente dans le travail de Sidi Larbi Cherkaoui, s’affirme ici comme le véritable fil rouge de la pièce. Les sons sculptent l’espace, provoquent les mouvements ou en découlent, soulignent les tensions entre les deux danseurs que l’on voit aussi chanter ou jouer du piano.

L’habile sonorisation du plateau et des accessoires – canapé, table, chaises – permet de jouer avec la technique de step dance irlandaise faite de claquements de talons et de frottements de semelles. La scène pendant laquelle on voit Colin Dunne danser sur une table, entouré des trois autres interprètes qui veulent s’y accouder, est à cet égard un exercice de style de haute précision bien réalisé. Les passages de chant a capella ouvrent et ferment le spectacle, de manière à la fois concentrée et irrévérencieuse, dans ce qui n’est pas le moindre des paradoxes de ce spectacle où il est aussi question de faire silence.

Sidi Larbi Cherkaoui et Colin Dunne dans « Session » (photo: Koen Broos)

Des miniatures finement ciselées

Il est vrai que Session n’est pas la plus spectaculaire des pièces au répertoire de Sidi Larbi Cherkaoui. Ni dans la scénographie – une simple palissade de bois en fond de scène sculptée par des jeux de lumière. Ni dans la mise en scène assez basique autour d’une succession des scénettes. Ni dans l’interaction entre les danseurs qui s’éclipsent régulièrement et à tour de rôle pour laisser le champ libre à leur partenaire. Ils n’ont plus 20 ans et cela leur permet de souffler.

Pourtant, Session a son charme propre, une atmosphère faussement dilettante qui souffle un vent léger sur la scène. On y voit ici et là se déployer, comme des bulles sorties de nulle part, des petites miniatures chorégraphiques finement ciselées qui enchantent le regard, stimulent l’ouïe ou, le plus souvent, font les deux à la fois.  Le très beau solo de Sidi Larbi Cherkaoui, sur fond de piano minimaliste et lyrique, en est un exemple que l’on gardera en mémoire, tout comme son ballet des mains autour d’un thérémine, cet ancêtre des instruments électroniques qui se manipule à distance.

On y retrouve, intact, l’univers de Sidi Larbi Cherkaoui construit sur le dialogue des cultures et des expressions artistiques, sa quête existentielle autour de l’identité dans sa rencontre avec l’autre, ou encore le recours à l’humour comme soupape. Finalement, on en ressort avec l’impression qu’avec Colin Dunne, la scène investie par Sidi Larbi Cherkaoui se fait terrain de jeu, quand elle était plutôt une zone de confrontation avec Akram Khan. 15 ans après Zero Degree, on peut y voir une forme de sagesse.

Marie-Laure Rolland

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