Cette création était très attendue et confirme le talent de Simone Mousset. Avec The Passion of Andrea 2, la jeune chorégraphe luxembourgeoise réussit à mettre la barre encore plus haut que Bal (2017), tout en restant fidèle à elle-même dans un registre humoristique maîtrisé avec brio par un casting détonant.
La pièce a été présentée au Grand Théâtre et au CAPE au Luxembourg après la première au Klap Maison pour la danse de Marseille en octobre dernier. On a pu découvrir une version légèrement raccourcie sur la fin, un propos resserré afin de tendre jusqu’au bout le fil d’une dramaturgie à la fois drolatique et philosophique, qui parvient à embarquer dans sa folle épopée le public.
The Passion of Andrea 2 est un objet chorégraphique inclassable, au carrefour du théâtre-dansé et de la comédie musicale, mais sans narration. À l’issue d’un périple d’environ une heure, on comprend qu’Andrea n’est pas un personnage mais plutôt un concept, l’expression d’un malaise, d’une difficulté existentielle. Simone Mousset interroge notre présence au monde dans lequel nous vivons, où nous sommes bombardés par un flux d’informations et d’émotions parfois contradictoires. Comment dès lors réussir à déterminer qui l’on est, ce que l’on veut, ce que l’on croit ?
La grande force de The Passion of Andrea 2 tient dans sa capacité à donner forme de manière simple et jubilatoire à ce questionnement existentiel, non seulement à travers le corps des danseurs, mais aussi celui du public, pris à partie pendant le spectacle.
En attendant Andrea
La pièce, découpée en trois séquences distinctes, s’ouvre dans une atmosphère très beckettienne de temps suspendu dans un no man’s land. Trois personnages déambulent dans le cube noir de la scène. Celle-ci est surplombée de grands sacs de formes et couleurs différentes signés par la scénographe Lydia Sonderegger, que l’on pourrait croire sortis d’un tableau de Kandinsky. Un son discret mais persistant sature l’espace à la manière d’un acouphène. Les danseurs ont parfois des gestes qui semblent exprimer une tension, on voit un corps qui chute, une bribe de chant s’échappe d’une bouche.
Le registre bascule dans le burlesque avec une deuxième séquence qui passe la vitesse supérieure. Une succession de mises en abîme vertigineuse fait exploser tous les repères entre la réalité et la fiction, le présent et l’au-delà.
Les trois personnages se reconnaissent comme étant chacun Andrea. De fait, leurs cheveux bouclés et leur pilosité leur donnent un faux air de parenté ou même allure de Trinité, si l’on se réfère au titre de la pièce sur «la Passion». Nos Andrea annoncent vouloir recréer leur «trio favori» intitulé The Passion of Andrea. Ce trio a bel et bien existé. Le public du Grand Théâtre de Luxembourg a pu le voir – mais pas avec les mêmes interprètes – en 2016 lors de la résidence de Simone Mousset au Talent Lab.
Perte de repères
Démarre alors une sorte de répétition ouverte où les interprètes commentent leurs actions, en anglais mais aussi parfois en français, allemand ou luxembourgeois pour pimenter le récit. Les accents anglais de Luke Divall et Lewys Holt, allemand de Mathis Kleinschnittger, sont savoureux. Leur gestuelle dansée est assez sommaire mais leur présence scénique remarquable.
Les jeux de mots se superposent aux jeux de rôle avec un piquant que n’auraient pas désavoué les Monty Python. Car bien entendu, rien ne se déroule comme prévu. L’affaire dégénère, à tel point que les protagonistes demandent au public, séparé en trois groupes, d’intervenir pour avertir «leur Andrea» du danger mortel qui le menace. Les personnages vont mourir, mais aussi – logiquement sommes-nous tentés de dire – ressusciter. Les scènes s’enchaînent en forme de variation autour d’une phrase chorégraphique fondatrice qui ne parvient jamais à son aboutissement.
Le loufoque monte encore d’un cran quand, à ces variations sur la forme, se superposent des variations dans des registres expressifs qui convoquent différents âges et styles : de la chanson de geste médiévale à la science-fiction en passant par la comédie musicale. On est dans de la haute voltige sur un terrain miné de chausse-trappes.
L’échappatoire de la création
Avant que cela ne frôle le « too much », les cartes de la pièce sont rebattues une troisième fois. On voit arriver sur scène un nouveau personnage (Alberto Ruiz Soler, qui signe aussi le son et les lumières du spectacle). Est-ce finalement le bon Andrea ? Il ne paraît pas lui-même en être persuadé et s’éclipse assez vite. C’est le retour au calme pour tenter de rassembler ce qui peut l’être, dans une photo de famille finale des trois protagonistes face au public.
Somme toute, si la question existentielle reste ouverte, la création de The Passion of Andrea 2 aura pu être menée à son terme. Ce qui est une forme de réponse.
On retrouve dans ce ballet comique et conceptuel la signature d’une chorégraphe qui avait créé une pièce majeure avec Bal en 2017. Ce ballet-documentaire interrogeait le phénomène des fakenews à travers l’histoire du « Ballet Folklorique National du Luxembourg », inventé de toutes pièces. Alors qu’on pouvait se demander comment Simone Mousset allait rebondir après un tel projet, The Passion of Andrea 2 montre qu’elle a su relever le défi. L’intelligence et l’originalité de sa démarche, alliés à une capacité à fédérer des talents, n’ont pas fini de nous étonner.
Marie-Laure Rolland
Voir aussi l’interview de la chorégaphe Simone Mousset à propos de The Passion of Andrea 2 :
1 commentaire
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