Qui se cache derrière Valérie Reding ? Il faut une interview backstage pour découvrir une jeune femme posée, presque sage, à des années-lumière des photos qu’elle diffuse sur Instagram ou sur son site internet. Sur ces plates-formes, elle est la Wild Child que l’on pourra voir sur la scène du Théâtre d’Esch lors du premier Festival Queer Little Lies organisé au Luxembourg, du 30 novembre au 2 décembre 2018. Avant ce rendez-vous, nous l’avons rencontrée pour mieux comprendre une démarche artistique portée par le questionnement de son asexualité.
Certains destins peuvent basculer du jour au lendemain, ou presque. Pour Valérie Reding, la rupture se produit après le décès de sa tante, en 2010-2011. Cette femme excentrique rompait avec la normalité familiale, ouvrant des fenêtres dans un parcours très balisé.
A l’époque, la jeune fille suit des études d’architecture à la prestigieuse École polytechnique de Zurich, après avoir passé un baccalauréat scientifique à l’Athénée de Luxembourg. Une scolarité qu’elle a menée en faisant quatre heures de danse classique par jour à la Royal Academy of Danse de Sandweiler. Ce rythme intensif est brutalement interrompu par une blessure l’année de son bac. Elle comprend qu’elle ne sera pas une danseuse de ballet et finit par se laisser convaincre de s’orienter vers une école d’ingénieur. « Je pensais y trouver mon bonheur car j’aimais aussi les sciences. Mais au décès de ma tante, je me suis dit que je gâchais mon talent. J’ai décidé de tout arrêter pour m’inscrire dans une école d’art ».
« Une personne asexuelle est considérée comme asociale »
Cette décision n’est pas facile à prendre. Son père mettra deux ans avant d’accepter de lui reparler. Lors de la première luxembourgeoise de Wild Child au Trois C-L au moins d’avril 2018, c’était la première fois qu’il voyait une des créations de sa fille. Cela dans une pièce aussi radicale qu’intime, dans laquelle elle se met littéralement à nu.
Avant d’en arriver là, Valérie Reding a pris le temps de s’ouvrir à elle-même, de comprendre ce corps qui ne fonctionne pas suivant les normes sociales. « J’ai toujours su que j’étais asexuelle même si je n’avais pas de nom à mettre dessus », confie-t-elle, « j’étais quelqu’un de très solitaire. J’étais différente mais ce n’était pas un facteur de souffrance ». En revanche, elle a conscience que cela dérange : « une personne asexuelle est considérée comme asociale. Quand on dit que la sexualité c’est la nature, je dis que c’est faux !»
L’asexualité reste tabou dans notre société où la norme est l’hétérosexualité. Le festival Queer Little Lies vise précisément à sensibiliser le public à l’existence d’autres formes de sexualité dans un contexte de questionnement sur le genre. « L’asexualité est l’absence de désir sexuel. Je n’ai pas d’objet de désir, quel qu’en soit le genre », explique Valérie Reding même si, pour ce qui la concerne, cela n’exclut pas d’avoir des relations intimes. Mais le tabou qui pèse sur l’asexualité n’est pas anodin : « Il y a beaucoup d’asexuels qui sont traumatisés car ils se sentent obligés d’avoir des relations sexuelles sans plaisir ».
A la Zürcher Hochschule der Künste, où elle a étudié durant trois années les « Mediale Künster », elle a pour professeurs les artistes Pauline Boudry et Renate Lorenz, très engagées sur les questions queer, c’est-à-dire touchant aux identités sexuelles et de genres non-conventionnelles. « J’ai choisi cette école car je savais que j’aurais là des interlocutrices qui me comprendraient ». Ses travaux lui font aborder les questions identitaires, de genre mais aussi le féminisme à travers la photographie, la vidéo et des performances qui peuvent durer jusque dix heures d’affilée. Elle y explore les limites physiques de son corps mais aussi la manière dont le public y réagit.
Un code esthétique de mise à distance
Dans Wild Child, elle se métamorphose à plusieurs reprises, exploitant à plein une formation de maquilleuse de mode qu’elle a faite à Düsseldorf et Londres pour gagner sa vie avant de percer comme artiste – et aussi pour survivre aujourd’hui car son travail n’est pas toujours lucratif, même si elle ne manque pas de sollicitations. Le travestissement, les costumes burlesques, le nu lui servent à dévoiler les émotions et les constructions sociales qui sous-tendent nos relations et nos désirs. Pour elle, le burlesque est un code esthétique. Il « établit le lien entre illusion parfaite et vulnérabilité absolue, entre mascarade et intimité et reflète ainsi le caractère artificiel et socialement construit de la sexualité », écrit-elle dans sa note d’intention.
Ce processus peut aller très loin : « Comme la sexualité ne joue pas un grand rôle dans ma vie, je n’ai pas de complexe par rapport à mon corps. C’est mon côté wild child, sauvage. Je peux m’en servir pour faire réfléchir à la question des rapports de force et à la violence de certains comportements sexuels ». Un passage de la pièce fait référence à un quasi viol dont elle a été victime à San Francisco. Le retravailler sur scène est aussi une manière de dépasser le traumatisme et de faire entrer le public dans la discussion. A condition que celui-ci accepte et comprenne les codes d’une esthétique dont la radicalité peut heurter les spectateurs non avertis – a fortiori le jeune public – ou, autre écueil et non des moindres, être pris au premier degré.
Marie-Laure Rolland
« Wild Child » de Valérie Reding, le samedi 1er décembre 2018 à 20h au Théatre d’Esch. Plus d’informations en cliquant ici.