Quelque 500 compagnies de danse venues de 40 pays sont représentées à la Tanzmesse. Pas évident dans ces conditions de parvenir à sortir du lot. La Glaneuse est allée voir du côté du stand 44 quelle est la stratégie des artistes luxembourgeois pour faire connaître leur travail sur la scène internationale.
Vendredi 31 août. Dès l’ouverture des portes du NRW-Forum à 9h30, les visiteurs déambulent dans les couloirs de la foire. Certains se sont couchés tard la veille (ou au petit matin) après la «Nordic Party» des pays scandinaves. Qu’importe, il faut être tôt sur place pour profiter pleinement des opportunités de networking de la Tanzmesse. Les 120 stands rassemblent des compagnies, artistes, programmateurs ou institutions actives dans le secteur de la danse. Beaucoup d’Européens mais aussi des professionnels originaires d’Asie, d’Amérique, d’Afrique et d’Australie. Ils viennent ici «vendre» ou «acheter» des spectacles. Bien souvent, il s’agit aussi de nouer des liens avec de nouveaux contacts qui pourraient devenir partenaires.
Au rez-de-chaussée, le stand 44 affiche en lettres capitales DANCE FROM LUXEMBOURG. De grandes affiches montrent le visage des six chorégraphes sélectionnés sur dossier par la Theaterfederatioun et le Centre de création chorégraphique du Luxembourg (Trois C-L). Certains sont déjà venus à la Tanzmesse comme Anne-Mareike Hess pour qui il s’agit de la troisième édition, Léa Tirabasso ou Jill Crovisier qui en sont à leur deuxième participation. «La première fois, c’est vraiment impressionnant. On ne sait pas comment s’y prendre pour rencontrer des gens. On ne sait même pas s’il faut être habillé d’une certaine manière. Ce sont des choses qu’on n’a pas apprises», observe Léa Tirabasso. Une expérience qu’elle peut partager avec les nouveaux venus comme Jennifer Gohier et Grégory Beaumont, Catarina Barbosa et Baptiste Hilbert mais aussi Simone Mousset.
Avec un espace de 16 mètres carrés, le Luxembourg a choisi le plus grand format de stand disponible. Un écran de télévision diffuse des extraits vidéo des spectacles disponibles, des prospectus d’information sont disposés sur des présentoirs tandis que des tables hautes permettent de discuter avec les visiteurs intéressés.
Assise légèrement en retrait, la chorégraphe Simone Mousset est penchée sur son carnet de notes. Sa petite mine ne doit rien à la fête scandinave. Elle a travaillé tard à peaufiner les détails de la présentation de son nouveau projet The passion of Andrea 2. Tout doit être prêt pour l’Open Studio prévu l’après-midi à 17h30 à la Tanzhaus. Cela n’a rien d’évident. D’une part car ce projet n’en est qu’à ses débuts – la première est prévue en novembre 2019 au Grand Théâtre de Luxembourg. D’autre part car elle ne disposait pas de studio de répétition à Düsseldorf. Elle a donc dû faire avec les moyens du bord et répéter dans sa chambre d’hôtel.
S’il est trop tôt pour juger de The passion of Andrea 2, l’extrait présenté lors de l’Open Studio montre que Simone Mousset reste fidèle à elle-même dans ce projet de théâtre dansé qui manie l’humour pour nous interpeller sur les questions de la manipulation du droit et de la confusion du sens. À voir la réaction du nombreux public venu assister à son Open Studio, elle est sur la bonne voie.
Catarina Barbosa et Baptiste Hilbert prennent le temps de déambuler dans les différents stands de la foire ce matin là. Ils ont été sélectionnés par le directeur de la Tanzmesse, Dieter Jaenicke, pour présenter à 16h30 à la Tanzhaus un pitch de leur solo créé en 2017, With my Eyes. «Nous l’avons déjà joué plusieurs fois. Ici nous en montrons un extrait de 10 minutes sur une pièce qui en fait 15. Ce n’est pas évident. D’autant que nous n’aurons pas l’éclairage requis. Nous voulons aussi expliquer au public la spécificité de notre approche et présenter un extrait vidéo de notre prochaine production», explique Catarina Barbosa. Tout cela ne doit pas dépasser 20 minutes chrono puisque les sessions de pitch s’enchaînent toutes les demi-heures l’après-midi.
La pression n’est pas mince pour les jeunes chorégraphes. Juste après eux, on peut voir un extrait de Tundra, une pièce de l’une des stars montantes de la scène européenne, Marcos Morau (que l’on verra au Grand Théâtre en mai 2019), avec sept danseurs de la National Dance Company Wales. «Franchement, je ne comprends pas qu’une compagnie comme cela fasse un pitch. Elle tourne déjà dans le monde entier!», s’agace le directeur du Trois C-L Bernard Baumgarten.
Incognito
Dans le hall de la réception du NRW-Forum, on croise le directeur du Kinneksbond Jérôme Konen en discussion avec un partenaire du Théâtre de Liège. Depuis l’ouverture de la foire il enchaîne les rendez-vous. Sa venue à Düsseldorf se passe bien. «J’ai déjà dépensé pas mal d’argent», confie-t-il. Il est ici principalement dans la perspective de la saison 2020-2021. «La saison 2019-2020 est déjà quasiment bouclée».
Jérôme Konen figure sur la très consultée liste des Programmers à la Tanzmesse. Ce qui n’est pas le cas du directeur du Grand Théâtre de Luxembourg,Tom Leick. Celui-ci indique préférer venir «incognito» pour ne pas être bombardé par les mails des centaines d’artistes ou compagnies qui cherchent à présenter leurs pièces. Il vient à Düsseldorf pour approfondir des contacts qu’il a déjà, ou développer des projets en cours. «C’est une manière de rencontrer beaucoup de monde en même temps», dit-il.
À la Tanzmesse ce jour-là, on croise aussi le directeur du CAPE Carl Adalsteinsson, la directrice du Mierscher Kulturhaus Karin Kremer, le directeur du Fonds culturel national (Focuna) Jo Kox, la programmatrice des Rotondes Angélique D’Onghia. Autant d’institutions directement ou indirectement actives sur la scène de la danse.
Pas d’improvisation
Un gros travail a été fait en amont de la Tanzmesse pour que les quatre jours à Düsseldorf soient productifs. Le Fonds culturel national a accordé une subvention de 12.000 euros pour produire des vidéos qui présentent le travail des chorégraphes. « C’est une carte de visite importante pour approcher de futurs partenaires », remarque Baptiste Hilbert. Le Trois C-L a apporté son expertise pour aider les artistes à développer leur réseau de contacts. Les volets logistique et administratif ont été supervisés par la Theaterfederatioun. Chacune de ces deux institutions a investi 5000 euros pour couvrir les frais de la présence à Düsseldorf. Un investissement relativement modeste au regard des montants investis dans les productions mais aussi des retombées attendues.
Il faudra attendre plusieurs mois pour en prendre la mesure. «Nous ferons le point avec les artistes régulièrement au cours des deux prochaines années pour analyser le suivi des prises de contact», indique Bernard Baumgarten du Trois C-L. Jill Crovisier, qui en est à sa deuxième édition, confirme que cet investissement se fait sur la durée. «Lors de ma première Tanzmesse, j’étais un peu perdue. Entre-temps, ma carrière s’est développée et je peux présenter un parcours plus solide aux gens que je rencontre. Cela fait la différence pour ouvrir des portes».
Marie-Laure Rolland
Lire aussi le premier volet de notre reportage à la Tanzmesse en cliquant ici.
Ce reportage a été réalisé avec le soutien du programme du Fonds Culturel National d’aide à la mobilité internationale pour les professionnels des médias luxembourgeois.