Dans BLKDOG, le chorégraphe anglais Botis Seva se confronte à la violence du monde en posant un regard sans concession sur une humanité qui ne tient pas ses promesses. Un spectacle de hip-hop sombre et percutant, extrêmement bien ficelé et interprété.
par Marie-Laure Rolland
Ils arrivent d’une contrée « Far From The Norm » qui ne fait pas de cadeau. Botis Seva a grandi dans un quartier défavorisé à l’Est de Londres. Il aurait pu y sombrer mais son chemin a croisé le rap et la danse hip-hop. Deux tremplins qui lui ont permis de ne pas se laisser enfermer dans sa rage et ses frustrations.
Le chorégraphe a des choses à dire et il les exprime puissamment, à coups d’images frappantes, de musique électro saturée dans les basses et chargée de points de tension (Torben Lars Sylvest). Et puis, il y a un langage corporel original et cohérent, servi par des interprètes bluffant de force et de précision.
J’ai pu le découvrir pour la première fois au Luxembourg avec BLKDOG, à l’affiche du Grand Théâtre. Six interprètes incarnent un échantillon d’humanité qui semble plongée au fond d’un trou noir dont ils ne peuvent s’échapper. Cagoule sur la tête. Tuniques amples qui masquent les corps – leurs couleurs et leurs genres. Une atmosphère oppressante jusqu’aux rangs des spectateurs.
La gestuelle est extrêmement travaillée. Elle puise dans la technique hip hop mais sait la dépasser pour construire un récit. On y voit des gestes de soumission, de rébellion, parfois aussi de compassion. Les danseurs courent à toute vitesse en position accroupie, tels des volatiles vulnérables et dociles. Il y a des simulacres d’exécution. Des chutes et des crucifixions. Et toujours le petit troupeau compact se reforme, à l’unisson, obstinément, avec ses gestes saccadés qui racontent des vies entravées, encadrées.
Les illusions perdues
L’extrême précision et puissance des danseurs démultiplie l’impact émotionnel de cette mise en scène. Cela évoque un univers concentrationnaire, sans référence de lieu ni de date. La même histoire depuis la nuit des temps : les guerres, les assassinats, les viols et violences jusqu’à la nausée.
Ce huis-clos s’ouvre par intermittence sur des réminiscence de l’enfance. Un écho de voix enfantine s’élève au milieu du flux sonore : « Let’s start again at the beginning…” Qu’est-ce qui a déraillé en cours de route ? Cette monstruosité, d’où vient-elle ? La tenue carcérale laisse place à un déguisement de gamin. Des mini-vélos investissent le plateau. Les corps se dénudent partiellement – et l’on remarque alors que cinq des six interprètes ce soir-là sont des femmes. Mais la tendresse très vite bascule dans des rapports de domination.
Cette pièce de Botis Seva serait totalement désespérée sans un jeu de lumière subtil (Tom Visser) qui joue avec les personnages, les pointe du doigt en même temps qu’il les enveloppe d’une certaine chaleur, les expose au grand jour en même temps qu’il leur laisse espérer une porte de sortie. Derrière la damnation subsiste l’espoir de rédemption. Un clair-obscur qui n’est pas sans rappeler les questionnements métaphysiques des maîtres du baroque.