Des nouveaux talents qui n’ont pas dit leur dernier mot

par Marie-Laure Rolland

William Cardoso et Rhiannon Morgan font partie du vivier de jeunes chorégraphes qui gravitent dans et autour de la scène luxembourgeoise de la danse. Une soirée leur a été consacrée au Centre chorégraphique. Un choc des esthétiques. Et aussi un vrai coup de cœur.

par Marie-Laure Rolland

Parlons tout d’abord de William Cardoso, la révélation de la soirée. Ce jeune danseur, formé au Conservatoire d’Esch, s’est perfectionné à l’école de danse professionnelle d’Anne-Marie Porras – EPSE Danse à Montpellier – comme Jill Crovisier, Baptiste Hilbert ou Rhiannon Morgan avant lui. Sa carrière de danseur a démarré il y a trois ans et on pouvait se demander s’il n’était pas prématuré qu’il se lance aussi rapidement dans l’exercice de l’écriture chorégraphique. Raum, un duo qu’il interprète avec Cheyenne Vallejo, dévoile un talent qu’il aurait tort de ne pas développer.

Sa pièce d’une trentaine de minutes est un corps à corps intense, un concentré d’énergie physique mise en mouvement dans une atmosphère de huis clos. Une lumière stroboscopique dévoile deux personnages qui déboulent sur scène entravés par un collant noir sur le visage, boots de cuir montantes aux pieds, vêtements en simili cuir noir – mini-robe pour elle, baggy court pour lui, et bientôt tous deux torses nus.

La réussite de cette chorégraphie se manifeste dans le trouble provoqué par ces deux corps quasi jumeaux par la taille et la musculature, source d’une énergie qui fusionne sous nos yeux. William Cardoso et Cheyenne Vallejo forment une masse corporelle qui se déplace vite et à grandes enjambées, qui lutte, se cherche, évolue dans un dialogue permanent et contradictoire entre attraction et répulsion, à travers des gestes forts et précis.

La musique électroacoustique de Guillaume Jullien entretient une atmosphère atemporelle et étrange dans la cage noire du studio de danse, métaphore de l’espace mental dans lequel on se débat avec soi-même. C’est puissant, contrôlé et imprévisible, oppressant et libérateur. Une très belle performance des danseurs en même temps qu’une vraie singularité dans le langage gestuel développé par le chorégraphe.

Les jeux de l’amour à distance

Changement de registre avec Rhiannon Morgan, qui nous entraîne du côté de la danse-théâtre. La chorégraphe clôture avec Clementine une année « de folie », comme elle le dit elle-même. Après le coup d’arrêt du début de la pandémie en 2020, les projets à rattraper se sont empilés en 2021. Il lui a fallu gérer un agenda surbooké, à la fois en tant que chorégraphe, interprète et membre du collectif de danseurs Lucoda. L’occasion de faire preuve de réactivité et d’efficacité, qui ne sont pas les moindres des qualités pour s’en sortir dans le milieu artistique.

Rhiannon Morgan dans « Clementine » (photo: Marco Pavone)

En attendant de prendre le temps de souffler et de laisser tout cela se décanter, Clementine vient boucler son année avec légèreté et fantaisie. La pièce, qui pointe les nouveaux modes de communication amoureuse, retient surtout l’attention par son dispositif scénique intelligemment mis en œuvre, avec la complicité d’Antoine Colla. Les spectateurs sont placés de part et d’autre d’un rideau noir. Le groupe A se retrouve du côté de chez Clémentine (Rhiannon Morgan). Le groupe B est cantonné du côté de chez Clément (Giovani Zazzera).

Les personnages communiquent à distance par vidéo-call. L’écran du smartphone, qui se refléte en projection au mur, permet au public de suivre l’action à la fois en « live » chez l’un des protagonistes, et « à distance » chez l’autre. La qualité sur l’écran n’était pas optimale, mais au moins le wifi a fonctionné au cœur de la Banannefabrik. Chacun était prié de mettre son portable en mode avion et s’y est plié de bonne grâce.

Pour ma part, j’ai été invitée chez Clémentine. Elle ne ménage pas ses efforts pour séduire son/ses interlocuteur.s, dans un exercice de métamorphoses qui convoque danses, costumes et effets spéciaux projetés à l’écran (avec la complicité de Jonathan Christophe à la technique). Le grand jeu ! Cela ne tarde toutefois pas à partir en vrille, comme chacun pouvait s’y attendre, la communication à distance après deux ans de pandémie ayant montré ses limites. Et lorsque finalement Clément débarque chez Clémentine, celle-ci a disparu !

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