Durant deux semaines, danseurs professionnels et amateurs se sont retrouvés autour d’une programmation de danse contemporaine qui proposait des formations, des conférences et des spectacles parmi lesquels une nouvelle création de la Junior Company de la Confédération Nationale de la Danse (CND) Luxembourg.
par Marie-Laure Rolland
On avait pris rendez-vous dans deux ans et cette fois-ci aucun virus n’est venu perturber l’organisation de la troisième édition de la plate-forme AWA, dont l’ambition est de réunir danseurs professionnels et amateurs. L’initiative a même pris ses aises en s’étalant sur deux semaines grâce au soutien de nouveaux partenaires, aux côtés de la Maison pour la Danse (TROIS-CL) à Luxembourg et du Kinneksbond à Mamer. Le programme présentait sept pièces, une étape de création de la nouvelle pièce de l’ensemble inclusif BlanContact (à voir du 22 au 24 mars à Mersch), deux conférences, des ateliers et masterclass pour danseurs amateurs et professionnels.
Quand ils ont lancé la première édition en 2018, les programmateurs Catarina Barbosa et Baptiste Hilbert ont eu un certain flair. Leur intuition de davantage associer les amateurs à la pratique artistique est entretemps devenue un critère de poids pour débloquer des financements publics. L’avenir dira jusqu’où ce genre de projet peut aller. Une quatrième édition devrait avoir lieu en 2026.
Il reste une marge de progression, d’après Baptiste Hilbert, «nous ne sommes pas encore arrivés à la hauteur de nos attentes. Nous avons conscience que c’est un travail de longue haleine». Si les workshops pour adultes ou professionnels ont été bien suivis, ce n’est pas le cas de ceux proposés aux jeunes. Les danseurs amateurs déjà inscrits dans les conservatoires ou les écoles de danse privées ont-ils le temps ou l’envie de suivre des workshops supplémentaires, a fortiori durant les vacances scolaires ? «Il y a un effort de communication à faire et de nouveaux partenariats à nouer pour expliquer que notre offre ne vient pas en concurrence, mais en complément de ce qui existe déjà», estime l’organisateur.
Dingoes unchained
L’autre point qui devra être retravaillé concerne la programmation des pièces à l’affiche. Celles-ci pouvaient satisfaire un public familiarisé avec la danse contemporaine, mais il n’était pas évident pour des néophytes de s’y retrouver – en particulier pour les pièces signées Yannis Brissot et Mei Chen dont il était difficile de faire le lien avec la vie d’Edith Piaf, ou encore la pièce de Joana Couto à la fois spectaculaire pour la performance mais obscure dans son intention autour des désirs compulsifs. Un échange entre les artistes et le public n’aurait pas été superflu à l’issue des représentations.
Parmi les temps forts, cette troisième édition aura une nouvelle fois offert une plate-forme à la Junior Company de la Confédération Nationale de la danse (CND) Luxembourg. Après Catarina Barbosa et Jill Crovisier, c’est à Léa Tirabasso qu’a été confiée une mission quasi impossible puisque l’ensemble n’avait que deux semaines pour travailler. Ce défi a été relevé haut la main par cinq danseuses (Hannah Codreanu, Emily Karmolinski, Emily Massaro, Alissia Parrocho, Eva Vispi) et un danseur (Lev Babych, très impressionnant de technique et de présence scénique).
The Chain est une exploration animalesque et drolatique d’un petit groupe propulsé sur une scène comme on l’est dans la vie : avec naïveté, curiosité, soif de découverte et appréhension de l’inconnu, besoin d’attachement et aspiration à l’autonomie. The Chain rappelle l’énergie des danseurs de Léa Tirabasso dans Joy (2017) et l’animalité de ses Starving Dingoes (2021) sur lesquels ne pèserait pas encore le poids des angoisses existentielles des grandes personnes. Et ça fait un bien fou de sentir cette légèreté, une envie pas encore formatée, une affirmation aussi de bousculer l’assignation au désespoir. Le courant est passé entre Léa Tirabasso et ses jeunes danseurs, et cette énergie a embarqué avec elle le public.
Le public pris à parti
Mon autre coup de cœur de ce mini-festival aura été Mood Shifters, une pièce du chorégraphe italien Andrea Costanzo Martini, ancien danseur de la Batsheva Dance Company de Ohad Naharin dont il enseigne la technique gaga. C’est une pièce stimulante dans son propos, complètement déjantée dans sa forme, et interprétée avec brio par des artistes habités par leur performance.
Deux femmes et un homme en tenue néobaroque, cernés par le public qui entoure la scène, tentent de gagner sa reconnaissance par tous les moyens – jusqu’à faire la manche, ramper au pied du directeur artistique, expérimenter les postures les plus folles et les jeux de mimétisme les plus improbables, dans une chorégraphie très théâtrale réglée au millimètre. Au fil de la pièce, on passe par toutes sortes d’humeurs et émotions, de l’hilarité à la gêne, de l’admiration à l’exaspération. Il s’installe dans l’espace un rapport de force qui fait pencher la balance tantôt du côté des artistes, tantôt du côté du public, acteur malgré lui de l’histoire qui se joue.
J’ai bien aimé aussi C’est toi qu’on adore, un duo de la jeune étoile montante de la scène française, Leïla Ka (sœur de la chanteuse Zaho de Sagazan dont elle signe les chorégraphies). Les danseuses vêtues d’un tee-shirt et pantalon de toile blancs répètent avec d’infimes variations une chorégraphie portée par une boucle de musique baroque. Les deux jeunes femmes semblent lutter à l’unisson contre un ennemi invisible qui les fait tourbillonner, tomber et rouler. Sans cesse, courageusement, elles se relèvent et se relancent dans la même bataille. C’est minimaliste et pop à la fois, très énergique, dur et profondément humain. Dans ce genre de parti pris, il me semble toutefois que Weaver, la dernière création d’Anne-Mareike Hess, allait plus loin.