Vivaldi reloaded

par Marie-Laure Rolland
"Seasons" de Jean-Guillaume Weis (photo: Bohumil Kostohryz)

Les Quatre Saisons de Vivaldi étaient au cœur d’une soirée ambitieuse et contrastée programmée au Grand Théâtre de Luxembourg. À l’affiche : deux pièces de danse signées Jean-Guillaume Weis et Elisabeth Schilling, avec l’Orchestre de Chambre du Luxembourg et l’étoile montante de la scène musicale britannique, la compositrice Anna Meredith.

par Marie-Laure Rolland

Il est rare de voir de telles productions dédiées à la création chorégraphique luxembourgeoise et tout avait été conçu pour que ce soit un succès.

La soirée s’est ouverte sur la reprise de Seasons, une pièce de 45 minutes créée en 2019 par Jean-Guillaume Weis pour le Spellbound Contemporary Ballet de Rome sur la version des Quatre Saisons revisitée par Max Richter (1966*).

Le chorégraphe a une longue carrière derrière lui et il est en pleine maîtrise de son art. Il a dépassé le stade de l’expérimentation et de la radicalité (LogoZoo, Drums and Dances) pour revenir ici à la source de la danse pure.

Season m’avait fait une belle impression en 2019, malgré certains passages qui semblaient à l’état d’esquisses. La reprise, plus de trois ans après avec un nouveau casting, a permis à Jean-Guillaume Weis, assisté de Brian Ca et Alessandra Chirulli, de peaufiner la chorégraphie, de donner à cette pièce tout son brillant, sa netteté et sa légèreté, aussi bien dans les détails que dans le tableau d’ensemble.

Il me semble aussi que cette nouvelle version joue davantage avec la superbe scénographie de Mélanie Planchard, une forêt de guirlandes dorées qui se déploie ou se rétracte à mesure que le gril s’élève vers le plafond ou redescend, plongeant la scène dans une féerie qui peut s’évaporer comme par magie, ou tout engloutir dans son monde.

A la somptueuse version néo-baroque des Quatre Saisons de Richter, interprétée par l’OCL sous la direction de Corinna Niemeyer, répond une chorégraphie qui fait la part belle à la fluidité des mouvements et des trajectoires, aux habiles combinaisons des corps qui se déploient dans l’espace jusqu’au bout des cheveux, dans une esthétique qui n’est pas sans faire écho à Pina Bausch et William Forsythe.

Des interactions à géométrie variable se nouent entre les danseurs qui forment un groupe à la fois contrasté dans ses personnalités et complice, vif et précis, permettant au spectateur d’imaginer toutes sortes d’histoires intimes. On s’y plonge avec bonheur comme dans un beau livre d’images.

Magmatique

Le rideau s’est ouvert en deuxième partie de soirée sur une proposition beaucoup plus expérimentale et pleine de défis. Autant de raisons pour un public averti de ne pas manquer le rendez-vous. Pour la petite histoire, le Grand-Duc a assisté à la représentation du vendredi 24 mars.

Après Hear Eyes Move, une superbe pièce autour des 18 variations pour piano de Ligeti qui lui a valu le Prix luxembourgeois de la danse en 2021, Elisabeth Schilling a eu envie d’explorer ANNO, une pièce où la compositrice britannique Anna Meredith (1978*) dialogue avec les Quatre Saisons de Vivaldi. Cerise sur le gâteau : la musicienne était avec l’OCL dans la fosse du Grand Théâtre pour jouer cette composition pour cordes, clavecin et musique électronique spatialisée autour du public.

C’est une oeuvre inclassable, qui navigue entre le classique, le rock et l’électro à travers différentes variations inspirées de la partition de Vivaldi, laquelle s’intercale en alternance dans une sorte de mouvement de balancier. Cela crée des contrastes parfois très surprenants, entre les atmosphères les plus diaphanes et des ambiances saturées qui écrasent tout sur leur passage, telles un magma composite et éruptif.

« Florescence in Decay » d’Elisabeth Schilling (photo: Bohumil Kostohryz)

Comment la danse peut-elle entrer en dialogue avec une telle musique ? Il fallait du courage pour s’y attaquer. Le voyage, semé d’embûches, aura aussi réservé quelques belles surprises.

Elisabeth Schilling répond à ANNO par Florescence in Decay, qui s’intéresse au processus d’éclosion et de décomposition dans le cycle des saisons.

La pièce de 35 minutes s’appuie sur une puissante scénographie réalisée par Lynn Scheidweiler. Il s’agit d’une montagne blanche posée en fond de scène, aux reliefs bien mis en lumière par Steve Demuth. Cette forme sculpturale imposante va se prêter à différentes métamorphoses impulsées par la musique. Les blocs qui s’en détachent, sur lesquels bourgeonnent bras et jambes, rappellent Sixfold, le très réussi premier solo d’Elisabeth Schilling qui contenait aussi une idée de germination et de mise en mouvement. Celle-ci est poussée plus avant puisqu’on passe du solo à la composition de groupe, de la germination à l’éclosion et la décomposition.

De même que la musique d’Anna Meredith brouille les frontières, la chorégraphie se développe dans un entre-deux. Il n’y a pas vraiment de récit, mais les différences de costumes – un peu trop kitsch à mon goût – et les langages gestuels différenciés caractérisent différents personnages – mousses, algues, champignons, corail… Il faut toutefois être averti pour s’y retrouver sur cette grande scène où le regard du spectateur a tendance à se disperser, au risque de se perdre.

Progressivement, les neuf personnages s’émancipent de la montagne/matrice originelle pour se confronter aux éléments, dans des déclinaisons qui vont du solo aux mouvements de groupe – comme toujours finement ciselés chez Elisabeth Schilling. Mais ces personnages paraissent bien vulnérables, coincés entre la masse sonore d’un côté, la montagne minérale de l’autre. La musique est par moment tellement écrasante que les interprètes semblent impuissants à y surnager, jusqu’à ce que la partition de Vivaldi vienne leur offrir – ainsi qu’aux spectateurs – une salutaire respiration.

Les danseurs (parmi lesquels les Luxembourgeois Alisha Leyder et Stefane Meseguer Alves) s’investissent avec beaucoup de conviction dans cet univers mais peut-être faudrait-il pour dialoguer avec la musique d’Anna Meredith un ensemble d’interprètes beaucoup plus nombreux, ou davantage de radicalité dans l’écriture chorégraphique.

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