Sa danse a une urgence explosive, née d’un passé compliqué avec lequel il a dû se construire. Pour aller où ? C’est ce que j’ai eu envie de comprendre lors d’une rencontre à quelques jours de la première de Baby, à l’Ariston de Esch-sur-Alzette.
par Marie-Laure Rolland
William Cardoso est de retour, après une année au Portugal. Il voulait « respirer un autre air, se construire une vie d’adulte, avoir un appart ». C’était aussi l’occasion d’aller puiser à la source de cette culture lusophone dans laquelle il a grandi, même s’il est né et a passé sa jeunesse à Esch-sur-Alzette. Oui mais voilà, le Luxembourg a de sérieux atouts pour un jeune chorégraphe. Les moyens n’y manquent pas pour encourager les nouveaux talents.
De fait, la personnalité et le travail de William Cardoso, qui est sorti il y a cinq ans de l’EPSEDANSE de Montpellier, ne sont pas passés inaperçus. Comme beaucoup de jeunes danseurs fraichement diplômés, il a dû tracer son chemin en dehors des grandes compagnies dont les sélections sont drastiques. S’il a eu la chance de faire un stage dans la compagnie d’Olivier Dubois, il n’a pas encore atteint son Graal : « danser chez Hofesh Shechter ». En revanche, il a pu multiplier les collaborations avec les chorégraphes luxembourgeois (notamment Giovanni Zazzera, Jill Crovisier, Léa Tirabaso), créer trois pièces et, cerise sur le gâteau, il vient d’obtenir la toute nouvelle Bourse Expédition du Art Council Luxembourg Kultur.lx. Celle-ci lui offre un apport financier ainsi qu’un encadrement technique pour préparer pendant deux ans (2024-2025) une nouvelle création, avec le soutien du Grand Théâtre de la ville de Luxembourg, du Centre de création chorégraphique du Luxembourg TROIS-CL, du Centre National de la Danse à Lyon et du Gymnase à Roubaix.
Voilà qui ouvre des perspectives stimulantes à celui qui, jusqu’à l’âge de 15 ans, est resté un danseur solitaire et autodidacte. Il s’enfermait dans sa chambre avec un casque sur la tête pour ne pas entendre ses parents crier dans la pièce d’à côté. « Quand je me mettais à danser, il n’y avait plus de mots, c’était joyeux », confie-t-il. Le gamin rêvait en regardant le film de Thomas Carter Save the Last Dance. Qui sait s’il ne pourrait pas devenir danseur ?
Un besoin de physicalité
Vers 16 ans, William Cardoso franchit la porte du Conservatoire de danse d’Esch-sur-Alzette, avec le soutien de sa mère. Il a un argument imparable : « c’est gratuit ». L’accès à ce genre d’institution n’allait pas de soi dans sa famille. Son père était maçon et sa mère cumulait un double emploi de femme de ménage le matin et de serveuse le soir. « C’est vraiment la caricature du profil des immigrés portugais », observe-t-il avec un certain détachement. Au Conservatoire, il fait la connaissance de Nathalie Moyen qui arrive « comme un ange sur ma route. Elle a toujours cru en moi ». Il apprend les bases de classique et de jazz et, sur le conseil de sa professeure, postule pour l’Ecole Professionnelle Supérieure de Danse (EPSEDANSE) d’Anne-Marie Porras à Montpellier.
C’est une étape clé. « Je ne m’étais jamais senti à ma place à la maison », dit-il. Une impression d’étrangeté qui est devenue plus aiguë lorsque s’est affirmée son homosexualité. Sa pièce Dear Mum(2021) raconte de l’épreuve de son coming out dans une famille pétrie de culture catholique conservatrice.
À Montpellier, où il est étudiant entre 2015 et 2018, il rencontre « des gens comme moi, un peu perdu dans cette société » et pour qui « le travail avec le corps permet de se sentir libre ». De cette époque est née sa complicité avec Cheyenne Vallejo, une danseuse avec laquelle il a créé Raum (2021), un premier duo à la physicalité incandescente. On la retrouve dans Baby.
À l’EPSEDANSE, William « rame » en danse classique mais s’épanouit dans les exercices d’improvisation et la danse contemporaine. Il découvre qu’on peut « salir » la danse, c’est-à-dire chercher dans le mouvement quelque chose de viscéral et d’organique qui fait craquer le verni des gestes trop parfaits. « J’adore les challenges physiques, pousser mes émotions et mon corps jusqu’au bout de ce qu’ils peuvent donner ». C’est le moteur de sa danse, là que s’exprime pour lui l’authenticité du corps et des êtres. Une expérience qu’il a vécue récemment pour la reprise de Starving Dingoes de Léa Tirabasso au dernier Festival d’Avignon. « Honnêtement, je n’étais pas sûr de pouvoir tenir toute la pièce », dit-il dans un sourire.
Un passé toujours présent
Sa nouvelle création, Baby, va puiser dans ce genre de performance physique extrême. Après neuf semaines de travail, le projet a évolué. « Je suis amoureux en ce moment et je voulais parler d’amour. Baby, c’est le mot familier avec lequel j’appelle mon copain. Mais au fil de mes recherches je suis revenu à la question de la violence. Je me rends compte que je n’en ai pas fini avec les traumatismes de mon passé et de mes premières expériences en tant que danseur professionnel », dit celui qui milite pour lutter contre les abus de pouvoir dans les arts de la scène.
Sa nouvelle pièce s’est recentrée sur la question de la dualité qui peut habiter un même individu, coincé entre l’image extérieure qu’il affiche et son moi intérieur. Les contradictions peuvent être violentes. William n’a pas peur de les mettre en scène. « Je veux parler de la violence parce que c’est un sujet essentiel dans notre société et que je ne peux pas détourner la tête ».
A quelques jours de la première de Baby, l’heure est aux derniers réglages avec Alice De Maio et Cheyenne Vallejo. « Le grand défi est toujours de trouver la juste tonalité. Il y a une énergie sur scène qui n’est pas positive mais qui n’est pas désespérée non plus ». Cette fois, il prend un peu de distance en choisissant de ne pas interpréter sa pièce, pour se concentrer sur la chorégraphie. Une nouvelle expérience qui lui permet de réaliser qu’« on ne peut pas tout faire, sinon on risque de se perdre ».
Baby de William Cardoso, les 27 et 28 octobre à l’Ariston de Esch-sur-Alzette (L). Réservations et plus d’informations en cliquant ici.