« Score » d’Isaiah Wilson : au nom de l’éthique ?

par Marie-Laure Rolland

C’est un peu l’histoire de la grenouille morte qui détend sa patte quand on appuie sur son nerf. Dans Score, trois danseurs sont soumis à des impulsions électriques programmées pour faire naître une chorégraphie. Une expérimentation qui soulève pas mal de questions.

par Marie-Laure Rolland

Lorsque j’ai découvert Score le soir de la première au centre chorégraphique TROIS-CL, je n’avais pas d’idée précise sur le dispositif technique mobilisé pour cette pièce. J’avais envie de me laisser surprendre. J’étais curieuse de découvrir la nouvelle création d’Isaiah Wilson, un jeune et talentueux artiste pluridisciplinaire qui n’hésite pas à tester les limites et qui développe depuis quelque temps une collaboration avec une autre chorégraphe, Sarah Baltzinger.

Sur scène, on découvre deux danseuses et un danseur assis sur des chaises, seuls éléments décoratifs dans un cube blanc plongé dans une lumière froide. Ils portent un harnais relié à un gros câble qui serpente au sol. Des fils sortent de patchs disposés un peu partout sur leur peau.

Une musique acoustique minimaliste semble faire écho aux gestes des danseurs. La bande son est l’un des points forts de cette création, mélange subtil de bruitages que l’on croirait réalisés en live et de sons atmosphériques.

Ce sont surtout les gestes qui ont retenu toute mon attention durant cette représentation qui, du point de vue de la dramaturgie, ne présente guère d’intérêt (on voit les danseurs se lever, faire quelques pas, s’éloigner, se rapprocher, se rasseoir). La gestuelle – des mains en particulier – ne ressemble à rien de ce que j’ai pu voir sur une scène.

Déshabiter son corps

Cette gestuelle si particulière tient au fait que tous les mouvements sont activés par des impulsions électriques transmises par électrodes (n’ayant pas lu le livret avant de voir la pièce, je pensais que le dispositif du harnais et des câbles était « fake », un costume inspiré de Matrix pour nous projeter dans un univers dystopique). La gestuelle des trois danseurs découle des impulsions en différents points du corps suivant différents niveaux d’intensité. Les effets de tension/relâchement n’ont rien de naturel ni de familier. Comme les trois danseurs bougent le plus souvent à l’unisson, c’est assez fascinant.

Tout cela est orchestré par un logiciel créé sous la supervision d’Isaiah Wilson et programmé pour  jouer des corps comme de différents instruments, en s’adaptant à leur texture spécifique. Les danseurs ont pour seule mission de lâcher prise. Leur cerveau ne doit pas interférer entre les impulsions électriques et leurs muscles.

C’est un vrai challenge, comme ils me l’ont confié après la représentation. Cela va à l’encontre de leur apprentissage de danseur, qui vise à une maîtrise aussi précise que possible de leurs fibres corporelles. Dans Score, ils mettent à disposition du chorégraphe leur matériau corporel qu’ils doivent en quelque sorte «déshabiter».

L’autre défi est que le corps s’habitue aux impulsions électriques. Cela peut déclencher des réactions incontrôlées. Ou au contraire obliger le chorégraphe à pousser davantage le niveau d’intensité électrique pour parvenir au résultat escompté. Plus les répétitions avancent, plus le curseur risque de devoir se déplacer. Mais jusqu’à quel point de douleur est-ce tenable ? Le danseur ne risque-t-il pas, malgré lui, d’être amené à dépasser son point de consentement de départ ?

A propos d’éthique…

L’intention de la pièce d’Isaiah Wilson est pertinente. Elle fait écho, rend visible d’une certaine manière une violence de notre environnement technologique que chacun peut aujourd’hui ressentir dans son corps – lorsqu’il s’agit par exemple de s’adapter à un logiciel qu’on ne maîtrise pas (a fortiori pour les personnes âgées qui peuvent se sentir totalement aliénées).

Mais Score soulève à mon sens la question de la limite éthique à un processus créatif qui entend précisément questionner les limites éthiques à l’utilisation des technologies. Jusqu’où peut-on aller pour faire la démonstration ? Autrement dit : la fin justifie-t-elle les moyens ? Dommage que l’occasion d’en discuter n’ait pas été donnée après la représentation.

Voici le trailer de la pièce

score (Trailer) from Isaiah Wilson on Vimeo.

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